Sea of Stars – l’autre Océan des Etoiles

Ah, la nostalgie, cette petite pute.

Pardonnez ces mots crus, mais la nostalgie a toujours été assez terrible dans le jeu vidéo. Comme une hallucination collective visant à faire croire que c’était mieux avant, que l’être aimé était là, qu’il y avait réussite à tous les examens, et que le jeu vidéo c’était quelque chose. On savait s’amuser à cette époque.

Selon votre histoire vidéoludique votre nostalgie aura soigneusement occulté pas mal de choses pour ne garder que le meilleur. Mais à l’époque il n’y avait pas de sauvegarde automatique, les jeux étaient courts donc durs pour booster artificiellement la durée de vie, le scénario était écrit sur un coin de nappe, il n’y avait presqu’aucune localisaton, les combats étaient aléatoires, il fallait faire revenir sur ses pas de nombreuses fois, il n’y avait aucune option d’accessibilité, la difficulté n’était pas finement réglable… et pour ceux qui avaient la chance de jouer sur PC, il ne fallait pas débourser 5000 euros d’aujourd’hui (!) pour avoir une bécane digne de ce nom, ni se battre avec différentes configurations de démarrage de CONFIG.SYS/AUTOEXEC.BAT afin d’avoir suffisament de mémoire conventionelle, haute ou paginée (selon l’humeur du jeu auquel on voulait jouer.)

Le truc c’est que quand un projet de jeu vidéo jouant sur notre fibre nostalgique voit le jour, pour moi c’est la méfiance direct. Sea of Stars a commencé comme ça, en présentant un kickstarter certes joli tout plein, mais jouant à fond la carte du « Hé vous aviez aimé Chrono Trigger pas vrai ? » rappellant immédiatement des souvenirs heureux à tout posssesseur de Super NES qui se respecte. Il faut dire que des projets KS, j’en ai backé plus d’un lors de la ruée vers l’or des utilisateurs par différents développeurs. Si beaucoup étaient bien intentionnés, cela ne les a pas empêchés de se vautrer et de ne jamais livrer leur projet.

M’étant donc brûlé les ailes sur de nombreux projets (avec heureusement d’autres belles réussites) j’avais levé le pied sur le kickstarting et je suis donc passé complètement à côté de Sea of Stars lors de son kickstarter en 2020.

Si cette introduction vous a paru longue, vous verrez que celle de Sea of Stars est encore pire. Car vous allez bouffer un long couloir de cinématiques avant que l’aventure ne démarre vraiment.

Bon du coup si tu parlais du jeu ?

Sea of Stars est donc un RPG à la japonaise à l’ancienne en pixel art et fait avec beaucoup d’amour. Cela se sent dés les menus, dés l’écran titre, dés l’introduction, dés qu’on clique sur le bouton « Jouer » en fait. On y incarne au choix Zale ou Valere, deux enfants nés durant le solstice d’été et d’hiver, et qui sont destinés à faire partie de l’ordre des Guerriers du (Erin) Solstice, là pour combattre les Hôtes, des êtres maléfiques crées par le très très méchant Fleshmancer , qui veut bien sûr détruire le monde.

Sous ce pitch un peu bâteau, se cache, vous vous en douterez, différents plot twists qui feront que tout n’est pas forcément tout blanc ou noir.

Zale et Valere seront très vite accompagnés de leur copain d’enfance, Garl, le cuisinier guerrier, et on touche à un des premiers problèmes du jeu : Garl est un excellent personnage, et il serait injuste de lui mettre ça sur le dos, mais Valere et Zale sont juste des coquilles vides de personnalité. Ils n’ont aucune aspiration propre, aucun caractère spécifique, si bien que leurs répliques semblent interchangeables lors des dialogues. Heureusement que les autres personnages sont là pour relever le niveau, mais pour moi c’est un des plus gros problèmes dans l’écriture du jeu.

L’autre souci c’est que certains personnages ou groupes sont mentionnés et utilisés à bon escient sur le moment mais complètement oubliés ensuite. Par exemple, certains personnages vont annoncer leur départ, pour qu’on entende plus jamais parler d’eux. Genre, vraiment, jamais. Même pas une mention dans la séquence de fin, rien, que dalle.

J’ai commencé par les défauts mais le jeu a aussi d’énormes qualités d’écriture : c’est parfois drôle, parfois triste, parfois très drôle, parfois très très triste, et ça fait mouche à chaque fois. L’aventure est là, on découvre de nouveaux lieux, tous différents et magnifiques, et tout le reste du jeu fout tout simplement le smile, y’a pas d’autre mots. Que ça soit par la mise en scène, les graphismes absolument chouettes, ou les musiques qui font le taf (sans être inoubliables je trouve, en tous cas je réécouterais pas l’OST,) on se retrouve devant un jeu fabriqué avec beaucoup d’amour pour cette époque 16-32 bits chère à nos coeurs.

Il y a und ernier point noir qui pour moi est néanmoins important : la fin du jeu laisse à désirer, que ça soit dans sa version normale ou complète. D’ailleurs, pour obtenir cette version complète il faudra impérativement faire son complétionniste et obtenir les 60 coquillages (des conques arc en ciel) que comporte le jeu sans trop qu’on sache pourquoi. Pour info, sans trop forcer, je n’en ai obtenu qu’un tiers durant ma partie, me laissant un peu dubitatif sur où êuvent se trouver les deux autres tiers alors que pourtant j’ai pas mal ratissé beaucoup de zones du jeu.

Ouais mais moi je suis là pour le gameplay

Qui dit ça en parlant d’un RPG ? On est là pour l’histoire ou quoi ?

Mais le gameplay c’est quand même important. Le jeu se manie très bien, ça répond au doigt et à l’oeil et même si on ne peut pas sauter, il y a plein d’endroits qu’on peut escalader pour gagner en hauteur, et globalement on prend beaucoup de plaisir à traverser les vastes et somptueux décors du jeu. Car artistiquement, on est sur du très joli. Y’a un aspect un peu Megadrive qui se dégage du pixel art du jeu. Les déplacements restent très instinctifs et fluides : on grimpe et on descend sans problème, on passe par des echelles ou des cordes suspendues au dessus du sol sans problème, bref, c’est très grisant.

Les ennemis sont visibles sur la carte même si parfois on se fera alpaguer par des malandrins sans les avoir au préalable vus. Lorsque le combat s’engage, c’est probablement là où Sea of Stars brille le plus pour moi : son système de combat est d’une simplicité déconcertante alors même qu’il propose un challenge correct tant qu’on ne fait pas n’importe quoi.

Les combats se déroulent au tour par tour et on contrôle trois personnages. Lorsque vient notre tour, on peut jouer l’un des trois personnages à condition qu’il n’ait pas joué récemment. Cela offre des possibilités tactiques intéressantes car parfois on aura besoin d’une compétence particulière pour se soigner par exemple. Chaque personnage peut attaquer, utiliser une compétence, un combo, ou utiliser des objets. Les compétences coûtent des PM mais on en a très peu (par exemple on commence le jeu avec 10 malheureux PM et les compétences coûtent entre 6 et 8). Cependant ce n’est pas un souci car ceux-ci remontent avec les attaques normales. Il faudra donc savoir économiser ses PM pour utiliser certaines compétences au bon moment, tout en se disant que faire une attaque normale alors qu’on est à fond en PM c’est un peu gâcher.

Pour ajouter à ce petit côté tactique on peut savoir dans combien de tours un ennemi va attaquer, mais aussi si ça va être une grosse attaque ou pas. Les grosses attaques peuvent être annulées en brisant des « verrous » visibles au dessus des ennemis. Par exemple un ennemi aura besoin d’une attaque à l’épée et d’un élément soleil pour voir son attaque à lui annulée. A vous de vous débrouiller pour briser tous les verrous avant l’attaque, sachant que si vous n’y arrivez pas, les verrous déjà brisés comptent souvent pour affaiblir l’attaque adverse.

Enfin, le gros aspect intéressant du système de combat c’est les orbes : quand vous faites une attaque normale l’ennemi lâche un orbe qui resta au sol jusqu’à ce que vous l’utilisiez pour booster un de vos personnages. Un personnage boosté fera plus de dégâts mais appliquera aussi son élément s’il fait une attaque normale (lune pour Valere, soleil pour Zale, poison pour Seraï, etc.)

Bref, tout cela contribue à un excellent gameplay sur lequel il n’y a pas grand chose à redire si ce n’est peut-être une certaine facilité. Si c’est encore trop dur ou trop facile pour vous, il est possible d’activer des « reliques » qui rendent les combats plus faciles ou plus difficiles en fournissant aides ou malus. Cette difficulté à la carte est plutôt bienvenue de nos jours.

Au final l’un des seuls reproches que j’aurais vraiment à faire, c’est plus un souci de cohérence. Si les donjons à parcourir sont bien pensés et jamais particulièrement retors ni farfelu (on trouve toujours ce qu’il faut faire, on ne se sent pas complètement bloqué au point d’aller voir un guide) ils n’ont aucun sens architecturalement parlant. Pour des temples pourquoi pas, mais quand il s’agit de chateaux ou autres tours, j’ai eu ce sentiment bizarre que les différents lieux étaient plus des décors servant d’excuse pour des écrans aux puzzles bien foutus.

Après y’a des lieux où ça marche bien et d’autres où ça dénote pas (genre la mine ou le manoir par exemple, ou les différents lieux en extérieur)

Bonjour, connaissez-vous notre sauveuse Erin Solstice ? 🙂

Qu’est-ce que j’en ai pensé ?

Sea of Stars est indéniablement un grand jeu malgré ses maigres moyens, surtout comparés à un récent Final Fantasy XVI très décevant en terme de narration (et en terme de tout à vrai dire…) Je veux dire, j’ai ressenti plus d’émotions fortes durant Sea of Stars que FFXVI tout entier. On sent la passion et l’amour qui a donné naissance au jeu et on l’aime malgré ses petits travers. Une vraie lettre d’amour au genre du RPG 16-32 bits, avec des touches de modernité fort bienvenus. Par exemple quand vous êtes amenés à retourner à différents endroits, le jeu vous aura crée des raccourcis pour vous éviter de vous retaper tout le voyage. On apprécie grandement ce genre d’attentions qui évitent de rallonger artificiellement la durée de vie.

Le jeu est bourré de ce genre d’idées, de moments de brillance narrative comme de gameplay qui font qu’on prend un réel plaisir à avancer. Le jeu possède qui plus est un excellent rythme. Oh il y a peut-être un léger ventre mou dans l’aventure quand on entame la seconde moitié du jeu, mais celui-ci ne dure pas si longtemps que ça.

Vendu en plus pour une somme assez modique (30 à 35 euros si ma mémoire est bonne) vous auriez tort de vous priver. Pour moi il s’agit d’un des meilleurs jeux de 2023, loin devant certains blockbusters triple ou quadruple A qu’on a essayé de nous vendre cette année. Vous passerez un bon moment, ni trop long ni trop court. Et même si la fin peut être un peu décevante, et qu’on aurait aimé plus de personnalité dans les deux héros, on part à l’aventure, on voyage, on s’amuse, et c’est tout ce qu’on demande d’un jeu vidéo.