[Personnel] Mon handicap, ma vie, mes angoisses d’otak’ et gamer

Le billet qui va suivre est un peu plaintif et je m’en excuse d’avance. Vous savez comment c’est : vous avez envie d’écrire quelque chose, il faut que ça sorte, même si au final c’est très personnel, mais comme vous allez le voir, ça ne pouvait pas tenir sur les 140 caractères de Twitter. Ah oui, ça sera un peu déprimant aussi, désolé. Et personnel. Ah merde je l’ai déjà dit.

Tout ou presque part de Jonetsu. C’est dommage car l’évènement s’est très bien passé, et je suis content d’avoir pu assister à la naissance de cette jeune convention pleine de promesses mais qui reste encore fragile (comme tous les novueaux projets, c’est normal.) Comme vous le savez peut-être, je me suis pas mal investi là-dedans dés le début où j’ai été trésorier de l’association qui gère Jonetsu, Nijikai. Le problème étant que je n’ai pas fait un très bon trésorier. Je me suis présenté plus par défaut parce qu’il en fallait un, et que, jusqu’à preuve du contraire, je suis quelqu’un qui a la tête sur les épaules, les deux pieds sur terre et tout ça. C’est nécessaire pour un bureau d’association qui manipule des grosses sommes et avec des enjeux autres que ceux de la Brigade SOS Francophone, par exemple. Je m’estimais donc capable de prendre de bonnes décisions réfléchies et de faire mon travail consciencieusement. Mais la réalité m’a bien vite rattrapé, et j’ai pu constater que les chiffres, c’est définitivement pas pour moi. J’ai donc plus ou moins abandonné mon poste et laissé tout le travail au secrétaire à tout faire Kabu, qui a assuré comme une bête. Il faut dire aussi que je n’étais pas aidé : n’étant pas sur Paris je n’avais ni chéquier ni possibilité de faire des virements pour des raisons pratiques (toutes nos négociations et autres actions se font sur Paris.)

Bref, ça a insufflé en moi un sentiment d’inutilité qui s’est installé trankilou. Petit mais sournois. Je me suis rendu compte, à l’approche de la convention que je ne pouvais pas faire énormément de choses pour aider, à cause de mon handicap et du fait que je n’étais pas sur place avant l’évènement. Et pour moi qui ai toujours été si actif dans mes autres rôles associatifs jusqu’ici, c’était un peu la douche froide. Je me suis senti inutile, si bien que pendant la convention, j’ai tenté de me rendre utile tant bien que mal. J’ai échoué, en mon sens, car l’évènement était suffisament petit et nous étions si nombreux qu’il n’y avait pas beaucoup de choses que j’étais le seul à pouvoir faire.

Vous savez, c’est comme ces gens drogués du travail, qui tout d’un coup partent à la retraite : ils se sentent comme une fleur fânée parce qu’ils n’ont plus rien à faire. C’est un peu ce qui m’arrive, et le problème c’est que ça va en se détériorant.

Suite à l’évènement, certaines personnes dont je tairais les noms et propos m’ont dit des choses qui m’ont blessé. C’était sur le moment, ça ne leur a peut-être pas paru comme ça mais ça m’a affecté, parce que ça a accentué mon sentiment d’inutilité.

Et c’est un sentiment qui prend une toute autre ampleur quand on est invalide.

Il y a toujours, toujours eu des choses que je n’ai jamais pu faire, à l’école comme au travail. C’est pas si méchant que ça, en fait. Ne pas pouvoir rebrancher un serveur dans un rack parce qu’on trouve pas les prises et les câbles qu’il faut. Ne pas pouvoir faire cet exercice de géométrie parce que ça ne me parle pas, bref, vous voyez le topo. Avec l’âge, j’ai pris petit à petit conscience de toutes ces choses que je ne peux pas faire seul. Je suis loin d’être un handicapé moteur et certainement pas à plaindre. J’ai toujours considéré ce « 90% » sur ma carte d’invalidité comme excessif. Pourtant, plus le temps passe plus je me demande si ce n’est pas si mérité que ça en fin de compte.

Je m’en foutais donc au début, mais j’ai eu ces derniers temps certains évènements qui m’ont fait remarquer que ben, je ne peux pas faire comme tout le monde, et ça m’emmerde beaucoup.

Un autre sentiment très pénible qu’ont beaucoup de personnes handicapées, c’est cette fierté mal placée de vouloir être comme les autres et refuser toute aide. Je peux traverser la rue tout seul, je n’ai pas besoin qu’on m’aide. On se sent rabaissé quand on nous aide à marcher, à se faire guider dans les rues de Paris. On a l’impression d’être un poids pour les autres. Du coup même si cette fierté s’estompe rapidement et qu’on accepte l’aide des autres, de gré ou de force, on abandonne une partie de son statut d’être humain et on se rend à l’évidence. Il y a des handicapés qui peuvent parfaitre aigris parce qu’ils sont comme ça, ils n’aiment pas être considérés comme tels. Ca me fait penser au lieutenant Dan dans Forest Gump qui vit pas super bien sa condition après le Vietnam, si vous voyez ce que je veux dire.

Du coup, tout cela mène vers un autre sentiment qui ne devrait pas exister : l’horreur de déranger les autres. On veut pouvoir faire ceci ou cela, mais déranger les autres ça nous fait chier, soit parce qu’on aime pas être redevables, ou soit (et c’est plutôt mon cas), être un poids pour les autres. Quand je demande à un ami de m’amener quelque part en voiture, je sais que je lui prends de son temps, de son essence, et ça me fait chier. Je me rattrape, je lui paye à manger, un jeu sur Steam, je fais quelque chose quoi, mais ça n’en reste pas moins gênant.

Et le problème c’est que ces deux sentiments, ne pas vouloir déranger et ne pas vouloir être traîté différement, sont presque mécaniques, inconscients. J’ai beau me convaincre que ce n’est pas si grave, mon premier réflexe est de penser que je ne suis pas handicapé et que je dois me débrouiller seul, alors que je cours peut-être un danger à aller seul, à pied ou en bus, quelque part, à me tromper de route, de ligne de bus ou à rater l’indication qu’il ne faut pas traverser la route. Dehors c’est plein de dangers quand on y voit rien. Le trottoir un peu trop haut, la voiture qui arrive à toute berzingue, le numéro de rue mal ou pas indiqué. Par où on rentre dans cet endroit ? Où est l’accueil ? Est-ce que j’ai pas loupé un écriteau qui disait défense d’entrer ? Est-ce que je gêne ? Est-ce que je suis seulement au bon endroit ?

Voilà le genre de questions qui me passe par la tête quand je voyage seul. C’est angoissant, vous n’avez pas idée. Ca demande de faire confiance aux gens, on a pas le choix. Quand je me tourne finalement vers un passant pour qu’il me guide, je dois me demander s’il ne va pas me mener en bateau ailleurs, ou tout un tas d’autres questions débiles.

Si j’ai fait cette disgression sur la locomotion, c’est pour que vous vous rendiez bien compte que quand je demande de l’aide à quelqu’un, c’est vraiment parce que j’en ai besoin, et que ça me rappelle amèrement que je ne peux pas faire comme les autres. Vous savez, comme quand vous vous convainquez que vous pouvez tout à fait monter ce meuble IKEA sans la documentation. Vous le ressentez quand vous regardez ce manuel mais que votre fierté vous dicte que c’est pas bien et que vous pouvez tout à fait vous en passer. Ben là c’est pareil mais ça concerne absolument tout.

Du coup, j’ai fait le choix assez acide de me désintéresser de ce qui se passe autour de Jonetsu. Parce qu’au final, c’est peut-être mieux ainsi. Je ne sers à rien, alors à quoi bon ? Petit à petit, je me suis rendu compte que c’était pareil avec la Brigade, qui va, spoiler de ouf, réduire considérablement ça partie création voire carrément l’abandonner d’ici la fin de l’année pour se concentrer sur les activités, auxquelles je ne peux pas non plus participer de façon aussi active que je l’aimerais. Et au final je trouve que je le vis bien. Je retrouve l’envie de faire des choses pour m’amuser, d’écrire de nouveau, je me sens libéré. Ca m’a fait du bien, là, pendant près de deux mois, d’en avoir strictement rien à foutre de ce qui pouvait bien se passer. Et je ne dis pas ça méchamment, hein. Toutes ces assos autour de notre sphère otak’ font de leur mieux et s’en sortent très bien d’ailleurs, mais moi, j’ai l’impression soudaine que ce n’est plus pour moi, qu’on a franchi un cap et que je ne peux plus suivre, que ça soit à cause de mon handicap ou de ma fatigue personelle. Peut-être est-ce un signe avant-coureur de dépression, je n’en sais rien à vrai dire.

J’ai d’autres exemples si vous voulez. Tenez, en ce moment je rejoue beaucoup à Final Fantasy XIV, un MMORPG très sympa sur PC, PS4 et PS3. J’y joeu avec des amis parce que, surprise, un MMORPG tout seul c’est sympa cinq minutes, mais avec des gens avec qui parler de nos aventures, c’est tout de suite plus fun. Bref, jusqu’ici dans le jeu j’ai joué une classe de DPS, c’est à dire, qui fait des dégâts. Mon but dans la vie c’était de taper, de ne pas gêrer la défense (on laisse ça aux « tanks », des personnages faits pour encaisser les dégats ennemis) ni le soin de mes alliés (on a toujours un soigneur dans l’équipe.) L’avantage du DPS, c’est que si jamais il m’arrive un truc, si je ne suis pas à la hauteur ou que je meurs, je ne pénalise pas l’équipe dans son ensemble. Le tank peut continuer d’encaisser, le soigneur peut continuer de soigner et eventuellement me réssuciter pour que je revienne en combat. Je me plaisais bien en DPS, mais comme FFXIV est un jeu qui pousse le joueur à élargir ses horizons, je me suis dit que j’allais commencer à m’entrainer au rôle de soigneur. J’ai déjà fait ça dans d’autres jeux, même si ça demande pas mal d’efforts, surtout dans FFXIV dont les combats sont particulièrement positionnels. En gros, il faut faire attention où on se trouve, ne pas se situer trop loin du combat sinon on ne peut pllus soigner tout en restant à bonne distance des attaques des ennemis pour ne pas s’en manger une. Et certaines attaques peuvent être particulièrement punitives si on se les prend de plein fouet. Il faut donc être multi-tâche et gèrer à la fois les barres de vie de ses coéquipiers, et sa propre santé en évitant de rester planté là.

Dans les premiers donjons du jeu (zones où on fait équipe avec d’autres aventuriers pour explorer et occire du monstre) la difficulté est moindre et il est plutôt aisé de faire soigneur. Sauf que passé un certain point, le jeu commence à devenir plus complexe et pardonne moins. On a plus de capacités, plus de choses à gérer, bref, c’est normal, c’est la courbe de difficulté. Plus on avance dans le jeu, plus c’est difficile. Mais en tant que DPS, même si ‘javais ressenti cette difficulté, je n’étais pas indispensable à la survie du groupe. Et si le soigneur meurt, personne ne peut le ressuciter. Le tank meurt aussi invariablement, puis les autres joueurs, et le groupe est décimé, obligé de recommencer plus tôt dans le donjon. Bref, quand on échoue en tant que soigneur, on met en péril le groupe, les autres dépendent de nous, et il est facile de voir sa confiance en soi voler en éclats parce qu’on meurt tous comme des cons pour la cinquième fois devant le même ennemi. Alors que parfois ce n’est pas la faute du soigner, là ça l’a été dans mon cas, car on affrontait un dragon qui a une énorme zone d’attaque dans une cour enneigée. Et la neige, c’est blanc, ça aveugle, c’est relou, quand on y voit rien on voit moins bien, on trébuche, on se prend les attaques et on a du mal à garder ses alliés, et soi-même, en vie. J’ai dû abandonner, laisser mes équipiers (que je ne connaissais pas) se démerder pour trouver un autre soigneur. J’ai été inutile, et ce n’était pas parque j’arrivais pas à jouer, ce nétait pas par incompétence. C’était parce que je n’y voyais absolument rien.

Pourtant j’aime les jeux vidéo parce qu’ils me permettent de faire des choses que je ne ferais jamais dans la réalité, tout comme j’aime Internet car je peux y communiquer sans qu’on sache que je n’y voie rien sauf si on creuse un peu. C’est magique, ça élimine les barrières entre les gens Internet. Je ne sais pas comment j’aurais fait pour vivre sans aujourd’hui. je ne sais vraiment pas. On a tendance à penser que d’autres faisaient sans avant, mais tout ce que ça m’a apporté, je ne vois pas comment j’aurais pu l’avoir autrement. J’ai rencontré des gens avec qui je suis parti en voyage à l’autre bout du monde, d’autres avec qui j’ai ri et partagé des moments importants, des personnes que j’ai aimées, et tout ça j’aurais pas pu le faire sans Internet.

Mais là je me suis senti mal par cette mésaventure parce que ça m’a rappelé, encore une fois, dans ce monde virtuel que je pensais imperméable à mes problèmes, que j’étais invalide. C’est un sentiment enfoui depuis longtemps en moi et que j’avais caché, grâce aussi à mes amis, à ceux qui jouent avec moi et qui font fi de mon handicap, qui comprennent, sans que j’aie à l’expliquer, que si je leur tire dessus par mégarde dans Counter-Strike, c’est que je ne les ai pas reconnus de loin et que je les ai pris pour des ennemis. Avant je ne pensais pas à tout ça, je m’en souciais bien. Ca ne m’était pas venu à l’esprit. Et puis avec l’arrivée des jeux de plus en plus photoréalistes, comme Battlefield 3 par exemple que j’avais acheté mais pratiquement jamais joué, je me suis rendu compte qu’il y avait des tas de jeux où je n’étais pas efficace. Une syndicaliste sensibilisée au handicap me l’a rappelé il y a déjà deux ans, quand nous avions échangé sur le sujet lorsque j’avais eu des ennuis au travail : beaucoup ne se rendent pas compte qu’une personne handicapée a besoin de plus de temps pour réaliser les mêmes tâches que les autres. Ca a fait tilt dans ma tête à ce moment, comme si je venais soudainement de devenir handicapé.

J’ai également envie de revenir au Japon l’an prochain. Le problème c’est que… je n’ai personne avec qui y aller. Jusqu’ici j’y allais avec Corsaire, mais celui-ci a trouvé du travail et émigré là-bas. Je suis heureux pour lui car c’est ce qu’il voulait depuis longtemps, mais du coup ça restreint pas mal mes mouvements. Je me vois mal déambuler sans personne à l’aéroport CDG ou à Narita. Encore moins s’il y a une escale ! Et je n’ai aucune idée du prix de l’accompagnement. Autant la SNCF est critiquable sur beaucoup de points, autant la gestion des handicapés est vraiment sans soucis et pratique. Et puis même, que faire sur place ? Je me vois mal me déplacer seul, ne serait-ce que dans la gare de Shinjuku. On en revient donc à l’éternel problème : si je veux aller quelque part, je dois trouver quelqu’un qui veut bien m’accompagner, ou bien pour être moins emmerdant, quelqu’un que je peux accompagner. C’est vrai quoi, qui suis-je pour imposer des endroits que j’aimerais visiter et qui n’intéressent que moi. Un maid café par exemple ? Ca n’intéresse pas forcément tout le monde qui m’accompagne, et ça me fait mal d’imposer ça à celui ou celle avec qui je vais. C’est très frustrant vous savez. Les plus pervers se diront que du coup je ne peux pas aller dans des soapland ou autres établissements peu recommendables, et ils auront compris ce que j’ai voulu dire. Il y a des choses ou des endroits qu’on aime faire seul, ou alors il faut quelqu’un ayant le même état d’esprit que soi, ou bien une dévotion à toute épreuve. C’est quelque chose que je ne peux pas demander, ni à des gens comme Corsaire ou Darksoul avec qui je m’entends très bien et avec qui je partage beaucoup de choses, surtout maitnenant qu’ils ont chacun trouvé quelqu’un avec qui ils préféreront très certainement passer leur rare temps libre plutôt qu’avec moi. Retourner au Japon prochainement me paraît donc compromis.

Ce problème se retrouve aussi en convention, si vous voulez un exemple plus proche. Je ne peux pas zieuter tous les stands fanzine et boutiques et je suis obligé de me baser sur ce que les gens pourraient trouver à ma place, et encore, qui a les mêmes goûts que moi ? Comment expliquer mes goûts d’ailleurs ? C’est tellement personnel, un artbook ou une figurine peut particulièrement me plaire mais je peux passer complètement à côté. En ce moment d’ailleurs, c’est le Stunfest. J’aurais bien aimé y aller à vrai dire, ne serait-ce que pour voir les coupains qui y vont, mais que faire sur place ? Juste glander, là, alors que je ne pourrai probablement pas profiter des jeux sur place à cause des écrans trop lointains ? Etre de nouveau un poids pour ceux que j’accompagne parce qu’il faut qu’ils fassent attention à ne pas me perdre ?

A partir de quel moment puis-je dire « Moi j’aimerais faire ceci ou voir cela » sans ressentir de la gêne, voire de la honte, à demander ça ?

Plus encore que quand j’étais adolescent, il y a des choses que je veux faire et que je ne peux pas, et ça me touche de plus en plus, ça me déprime de plus en plus, et je deviens de plus en plus conscient que je suis peut-être un poids, un boulet pour mon entourage. Que demander qu’on m’accompagne jusqu’à l’accueil de la gare c’est trop demander, à un chauffeur de taxi qui n’en a rien à foutre ou bien même à des amis qui aimeraient bien rentrer chez eux après une longue journée.

Tout ça j’ai essayé de l’exprimer un peu dans Blind Spot sans que ça vire au mélodrame comme ici. J’espère que j’aurai réussi à rendre les aventures d’Ayako agréables pour les gens qui auront lu jusqu’au bout.

C’est dans ces moments là que j’aurais aimé être riche pour avoir une meido comme Mahoro avec moi en permanence. (c’était le point otaku de ce billet, on est sur Meido-Rando quand même, non ?)

Voilà, je pense que je ne vais pas vous accaparer plus longtemps. Si vous avez lu jusqu’ici, vous avez toute ma gratitude et je vous payerais bien un verre voire un repas à l’occasion. C’était pas très plaisant à écrire mais au final je crois que ça m’a fait du bien. Ecrire a toujours été un défouloir pour moi, et un moyen de m’exprimer. J’espère que ça ne vous aura pas (trop) ennuyé. Passez tous un bon et long week-end, on l’a tous mérité.

Merci.