Kick Heart – Quand l’animation japonaise s’en remet à ses fans via le crowdfunding

Sous ce nom barbare (crowdfunding) se cache en fait un principe assez simple qui a été démocratisé cette année par un site répondant au doux nom de Kickstarter.

Le studio Production I.G. (Ghost in the Shell, Eden of the East, Usagi Drop et trouzemille films sympa) a lancé hier son propre projet de Kickstarter afin de produire un film d’animation d’une dizaine de minutes. Autant dire que c’est carrément une première, et même s’il est trop tôt pour dire si cette pratique va se généraliser, on peut au moins supposer qu’il s’agit d’une expérimentation du système.

Mais en quoi consiste Kickstarter? Kickstarter est avant tout un site qui permet de financer des projets par ses visiteurs. Grosso modo, vous êtes un indépendant, une petite boîte qui veut faire sans le financement de banques ou de gros éditeurs, et vous creez votre projet sur le site de Kickstarter. Vous indiquez le montant souhaité, le nombre de jours et vous indiquez plusieurs paliers de donations. Vous faites une belle présentation de votre projet, avec images, vidéos et texte. Le totu est d’être convaincant, de miser sur les réseaux sociaux et de « vendre » son projet au public. Kickstarter a plusieurs catégories : jeu vidéo, matériel, jeux de plateau, musique, cinéma, projets locaux… Chaque catégorie de projets a son public.

Le public de son côté peut faire des donations en selectionnant un palier (mais il peut mettre un montant libre aussi). Chaque palier donne droit à différentes récompenses : un gros merci dans le générique de fin, votre nom pour un personnage, une version collector avec moulte bonus…

C’est ici que beaucoup de personnes font l’erreur de traiter Kickstarter comme un site de précommande : non seulement vous n’avez virtuellement aucune assurance que ce pour quoi vous donnez sera effectivement produit en temps et en heure, mais en plus vous n’avez aucun moyen de vous faire rembourser si ça foire. Du coup, tout se joue sur la confiance : un type seul dans son garage vous demande 500 000 dollars? Un peu suspect, le type est probablement trop ambitieux… Une équipe de 30 personnes demande un million de dollars (façon Dr. Denfer) pour produire un chouette jeu vidéo ? Ca c’est déjà plus réaliste. Attention toutefois, sans être naïf, il ne faut pas perdre de vue qu’il n’y a pas que des arnaques parmi les projets kickstarter un peu trop ambitieux. Parfois il s’agit tout simplement de personnes qui estiment mal le temps et l’argent nécessaire à la réalisation de leur projet. Ca n’en fait pas moins de chouettes idées qui pourraient se concrétiser grâce à votre aide.

Ce qui nous amène au final à cette condition de confiance, pour faire un don. Qui ici irait remettre en cause l’intégrité du studio Production I.G. ? D’accord, un court-métrage de 10 minutes ça fait cheap, mais je pense qu’il faut voir cette opération comme une expérience de laboratoire.

Il leur faut 150 000 dollars et à l’heure où j’écris ces lignes ils en sont déjà à 40 000 dollars en une seule journée, répartis entre 552 « backers » (le nom donné aux gens qui font un don). On peut également utiliser le site Kicktraq pour voir vers combien les dons tendent actuellement. La plupart du temps quand un projet dépasse le montant initialement prévu, il crée des « stretch goal » et explique à quoi servira l’argent : des modes de jeu supplémentaires, des personnages en plus, une finition or sur la manette fournie, etc.

150 000 dollars pour réaliser 10 minutes de film d’animation, ça laisse songeur et ça fait réfléchir sur le coût de l’animation. Le public en occident est habitué à payer ses DVDs et Blu-Ray des clopinettes quand on voit le prix que ça coûte au Japon. Les fans diront que c’est trop cher, mais ceux qui font l’animation vous diront que ça ne l’est pas assez, et c’est impossible de contenter tout le monde quand on considère que l’animation est un marché de niche, surtout pour certaines productions un peu exotiques (pas Naruto/Bleach/One Piece/Fairy Tail, quoi.) Du coup il est impossible d’espérer vendre du volume et donc de baisser les prix. Une intégrale à 40€ qui se vend à 5000 exemplaires, ça ne fait qu’un maigre 200 000€, à se répartir entre l’éditeur, la logistique, les coûts de production, et finalement, les auteurs… Trouver un juste milieu entre les prix en France (40€ l’intégrale, mettons.) et les prix au Japon (400 à 600€ l’intégrale selon les séries.) paraît bien difficile. Cela fait de longues années que l’animation au Japon subit un long déclin, et c’est pour ça que les projets d’animation originaux, c’est à dire non tirés d’une franchise pré-établie comme une série de light novels, un manga ou un jeu vidéo, se font si rares de nos jours. Il y en a de temps en temps, mais essayez donc, dans une saison d’anime, de trouver des projets 100% originaux comme Gurren Lagann, Nadia ou Evangelion. J’ai pas fait exprès de ne penser qu’à des animes de la Gainax, mais vous saisissez le concept.

C’est pour ça que ce Kickstarter est si important. Plus qu’une expérience de laboratoire, il s’agit véritablement à mes yeux d’une lueur d’espoir. Il peut y avoir des couacs, il y en a déjà eu avec Kickstarter, comme des projets jamais livrés aux donateurs, ou ne répondant pas aux attentes… C’est un risque, mais on peut y gagner gros en terme de qualité et d’indépendance des studios vis à vis des éditeurs. Sans compter que Kickstarter de part son système de paliers pour les dons permet aux créateurs de proposer une plus grande interaction avec son public, notamment pour ceux qui donnent beaucoup (visite des locaux, dîner avec les producteurs, etc.) mais aussi via les commentaires du projet… Il y a moyen de dynamiser le monde de l’animation, avec pourquoi pas se passer des éditeurs pour certaines productions et retrouver un peu de cette aura d’indépendance qu’on trouve sur la scène indé des jeux vidéo ces dernières années. Mais là je dois rêver un peu.

Et puis pour une fois qu’un Kickstarter a une explication en français (si si si, scrollez donc sur la page de Kick Heart) ça serait encore plus dommage de se priver.

Pour conclure, et avant de peut-être faire votre don, n’oubliez pas quatre choses importantes :

  • Votre don est en dollars, ce qui veut dire que 30$ c’est plutôt genre 20€. On est trop habitués à se faire enfiler à coups de 1$=1€ sur Steam et autres, donc forcément…
  • Votre don ne sera prélevé qu’à la fin du Kickstarter, pas au moment où vous le faites.
  • Vous pouvez modifier votre don à tout moment. Voire le retirer, mais on vous retirera votre carte d’être humain aussi si vous faites ça.
  • Tout le monde ne sera prélevé que si le kickstarter réussit (atteint son objectif financier.) Si ce n’est pas le cas, ni Kickstarter ni Production I.G. ne récupèrent votre argent.

Si on n’aide pas l’animation japonaise que l’on aime tous maintenant, quand le fera-t-on ?

Et vous, vous pensez quoi de ce kickstarter pour le moins singulier ?